Depuis des mois à cause du flux incessant des réfugiés, la panique gagne l'Europe. Elle enfle, gronde, et s'infiltre dans chaque réunion européenne, dans les manifestations xénophobes en Allemagne, en Italie, en Suède, en Hongrie, et en France, ou encore dans les éditoriaux de la presse continentale qui rivalisent de termes alarmistes pour décrire une mort annoncée: l'Europe se "disloque", se "désintègre", se "déconstruit", "implose".

En 2014, un demi-million de personnes ont déposé une demande d'asile dans l'Union européenne; en 2015, c'est un million de réfugiés qui sont arrivés en Europe; la Commission européenne en prédit trois millions d'ici à 2017. Pourtant, si l'on regarde les chiffres, le flux de réfugiés arrivant en Europe ne devrait pas provoquer une telle agitation. Que représente un million de réfugiés pour une population de 510 millions d'habitants? Peu, en comparaison de la Turquie qui accueille déjà 2 millions de Syriens, et du Liban, où ils représentent près d'un quart de la population. L'Union européenne, première puissance économique mondiale, première union politique, ne pourrait donc pas accueillir 1, même 3 millions de réfugiés?

 

Une Europe forteresse, à la frontière gréco-macédonienne ou dans l'hémicycle de Bruxelles :

Que disent alors les réactions virulentes, et l'éclosion un peu partout en Europe de mouvements xénophobes et populistes? Ces mouvements ne naissent pas tant du refus de l'autre, que de l'inaptitude des dirigeants européens à dépasser les postures et manœuvres politiciennes pour proposer une vision de ce que sera la société européenne du 21ème siècle, au cœur de laquelle les mouvements de populations seront permanents. Le spectacle donné par cette Europe forteresse, à la frontière gréco-macédonienne ou dans l'hémicycle de Bruxelles, est véritablement celui de la déchéance de l'honneur européen, qui avait présidé à sa construction. La crise des réfugiés ne révèle pas uniquement l'indigence d'une Europe malade de ses fractures et inapte à l'action collective; c'est à l'aune de cette crise que les générations futures jugeront de la désagrégation de l'idéal européen, et de l'essoufflement du projet

Une Europe "passerelle de civilisations"

L'Europe, continent qui porte en étendard son humanisme universel, ne saurait périr de notre échec collectif de vouloir et penser l'union comme un espace de solidarité et de démocratie. La crise des réfugiés peut être une opportunité pour renouveler le récit et le projet européens.

Ce récit doit s'articuler autour de quatre arguments :

- L'Europe est un continent ouvert. Elle doit accueillir les réfugiés avant tout pour des raisons éthiques et humanitaires, et ne pas laisser la seule charge aux pays voisins ou limitrophes, qui risquent d'être déstabilisés à leur tour

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- L'arrivée massive de réfugiés devrait avoir un effet limité à court-terme, comme le montre de nombreuses études, mais l'impact à long-terme pourra être fortement positif, dans des proportions qui dépendront de la bonne intégration des réfugiés. La plupart d'entre eux, jeunes, éduqués et motivés, peuvent être une main d'œuvre complémentaire dans une Europe vieillissante.


- Les migrations sont inévitables et nécessaires. L'exode des populations du sud et de l'est de la Méditerranée est irréversible, lié à la multiplication des conflits au Moyen-Orient et au décrochage entre la croissance économique du continent africain et sa démographie.
Si ces populations sont correctement intégrées aux sociétés européennes d'accueil, l'Europe jouera pleinement son rôle de passerelle de civilisations, dans un monde en proie aux replis identitaires.

Seul gage de progrès: lier le verbe et l'action. Tous les mots d'apaisement n'y suffiront pas si la crise perdure, car c'est bien la crise qui engendre le repli sur soi, la peur de l'autre et le ressentiment.

Il apparaît donc indispensable de proposer des solutions concrètes à l'accueil et à l'intégration des réfugiés, pour que ces arrivées ne pèsent pas sur les sociétés des pays d'accueil, sur les plans économique et culturel, créant une insécurité perçue au sein des sociétés européennes. Face à l'inaction des Etats, empêtrés dans l'inanité de l'accord de Dublin, l'échec des discussions avec la Turquie, l'inefficacité du renforcement des patrouilles aux frontières et l'insuffisance des moyens alloués aux sauvetages en mer, de nombreuses réponses à la crise naissent au sein des sociétés civiles. Les élans de générosité se multiplient pour gérer l'urgence, améliorer le confort quotidien de ces populations démunies de tout, et favoriser l'émergence d'espaces de rencontres entre les réfugiés et les sociétés d'accueil.

 

Donner la possibilité aux réfugiés de travailler est une priorité

Mais au-delà de ces mesures d'urgence et d'accompagnement, donner la possibilité aux réfugiés de travailler est une priorité et une solution. Il serait faux de penser que les réfugiés qui viennent en France y espèrent l'oisiveté que permettrait le versement régulier des prestations sociales. Bien au contraire. La plupart d'entre eux sont avides de travailler, de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, de mettre leurs compétences au service de leur société d'accueil.

Bien sûr, la langue est au départ un obstacle, de même que la non-reconnaissance des diplômes qui ne permet pas aux réfugiés de trouver dès leur arrivée un travail en résonance avec leurs expériences passées. Le travail reste néanmoins le meilleur vecteur d'intégration: il favorise la constitution d'un tissu social, l'apprentissage des codes culturels, permet la dignité retrouvée et l'indépendance financière.

C'est ce que nous essayons de faire en créant Action Emploi Réfugiés, une plate-forme virtuelle qui permet de mettre en relation employeurs et réfugiés. Nous souhaitons donner à l'énergie des réfugiés un cadre de réalisation, qui tout en étant adapté à leur condition, s'inscrit dans la loi. Ce projet est ambitieux: aujourd'hui déployé dans une phase pilote en Île-de-France, nous le déploierons à l'échelle européenne dès la fin de l'année 2016, en nous appuyant sur des organisations partenaires. Nous comptons sur l'engagement de tous, individus, PME et grandes entreprises, pour faire écho à notre appel d'offrir aux réfugiés les mêmes opportunités d'accès au travail.

Insufflons une vie nouvelle au projet européen, faisons de l'intégration des réfugiés notre boussol

huffingtonpost.fr le 10/03/2016