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Berbères, juifs, phéniciens, romains, chrétiens et arabo-musulmans ont fait de la Tunisie une terre riche en patrimoines culturel et humain. Jusqu'aux années soixante, la société tunisienne était encore une société pluriethnique, multiconfessionnelle, aux identités plurielles.

Cependant, l'exaltation nationaliste de la postindépendance, le conflit palestinien, la parenthèse socialiste et, plus tard, la montée des idéologies fondamentalistes ont progressivement mis fin à trois milles ans de brassage ethnoculturel.

La disparition de ce brassage a créé une nouvelle société tunisienne raciste, fermée sur elle-même et inapte à renouveler ses gènes.

Une société raciste

En Tunisie, on parle rarement de racisme. Et pour cause, la société tunisienne est devenue tellement mono-ethnique que le racisme n'existe quasiment pas. Pourtant, c'est en observant le comportement des Tunisiens face à des touristes asiatiques par exemple que l'on s'aperçoit le mieux de l'ampleur du phénomène: regards insistants et intrigués, harcèlements et sourires déplacés font de ces visiteurs des bêtes de foire.

Plus encore, la communauté tunisienne d'origine subsaharienne fait les frais d'un véritable acharnement: Dans quelques régions, on sépare encore les bus des "blancs" et des "noirs", et on proscrit les mariages entre les deux communautés. Quant aux expatriés et aux étudiants subsahariens, ils essuient au quotidien des regards déplaisants, des remarques désagréables, des insultes et des humiliations qui en disent long sur la pénible dégénérescence intellectuelle des autochtones, toutes catégories sociales confondues.

Les Tunisiens de confession juive subissent également diverses formes de discrimination et de mépris.
Aussi, ce panel de comportements témoigne d'une société qui ne se mélange plus et qui vit un dangereux isolement ethnoculturel.

Une vision mono-identitaire

Le nationalisme tunisien s'est exprimé à travers la volonté tenace de résister à l'envahisseur. Dès ses premiers pas dans la lutte pour l'indépendance, Bourguiba a axé sa communication et ses actions sur la "tunisianité" au point qu'on refusait d'enterrer les Tunisiens naturalisés français dans les cimetières musulmans.

Plus tard, le nationalisme a pris une tournure plus radicale: l'arabisation, introduite par le premier ministre Mohamed M'zali, a donné depuis le coup de grâce au bilinguisme et, par conséquent, au multiculturalisme tunisien. On peut lire ainsi dans le premier article de la loi n° 91-65 du 29 juillet:

"Le système éducatif a pour objectif, dans le cadre de l'identité nationale tunisienne et de l'appartenance à la civilisation arabo-musulmane, les finalités suivantes (...)".

L'insistance sur le caractère mono-identitaire et mono-civilisationnel du pays ainsi que son institutionnalisation plongent la Tunisie dans un repli identitaire qui aura des conséquences négatives sur la mentalité collective et qui accélèrera l'établissement du fondamentalisme religieux.

Outre l'arabisation, l'expérience socialiste des années soixante a été un échec sur tous les plans: le cloisonnement économique a engendré un cloisonnement culturel. Bien qu'elles eussent été brèves, la Tunisie n'a jamais pu se relever de la parenthèse socialiste et de la campagne d'arabisation. La société et les institutions sont encore fortement imprégnées par ces années d'otarie.

La "pureté" génétique

Le repli identitaire et la tendance à l'isolement ont progressivement modifié le profil anthropologique et physionomique des Tunisiens, jadis extrêmement métissés.

Le métissage ethnique a carrément disparu laissant place à une société peu ouverte au mélange des gènes. La "pureté" génétique est devenue une réalité en Tunisie. Certes involontaire, elle est le fruit amer d'une politique régentée par des conceptualisations closes: un protectionnisme économique étouffant, une culture unique, une identité unique et une population unique.

En dépit de l'augmentation des mariages mixtes, le pourcentage reste très faible par rapport au nombre de la population (environ 3%) et les unions consanguines sont couramment pratiquées.

Epilogue

Autrefois carrefour des civilisations, terre d'accueil et d'exil, la Tunisie s'est transformée - en quelques décennies - en un pays "nettoyé" de toute forme d'altérités, qu'elle soit culturelle ou ethnique. Cet état a malheureusement donné naissance à une société tunisienne actuelle de moins en moins brassée et, en conséquence, de moins en moins tolérante et ouverte, une plate-forme idéale pour l'épanouissement du fascisme "religieux".

 

Al Huffington post, le 25/03/2014