Stratégie Nationale Migratoire : quel accès au travail pour les migrants en Tunisie ?

 

Cadre

Le lien entre migration et développement est reconnu par la Stratégie Nationale Migratoire. Pourtant, le cadre légal actuel, très restrictif, permet peu de contribution des migrants au marché du travail formel. Ceux-ci sont donc généralement limités au marché informel et sont exposés aux abus et à l’exploitation. Comment, dans ce cadre, faire respecter les droits des travailleurs migrants ?

Parmi les droits des travailleurs se trouve celui de la syndicalisation, reconnu par différentes conventions internationales. L’UGTT vient de mettre en place un réseau de points focaux régionaux pour les travailleurs migrants en Tunisie. Cette initiative permettra-t-elle un meilleur respect de leurs droits, y compris celui de la syndicalisation ?

 

Présentations des intervenants

Madame Ahlem Hammami, Direction Générale de la Coopération Internationale en matière de Migration, Ministère des Affaires Sociales. Son département est notamment au pilotage de la Stratégie Nationale Migratoire (SNM). Elle en décrit donc les contours : ce document est basé sur une approche des droits humains. Il concerne les Tunisiens à l’étranger, et également les migrants en Tunisie. La procédure d’écriture a démarré en 2012, et 3 consultations ont été organisées depuis, notamment en 2017 où la société civile a été largement associée. La version finale a été arrêtée en 2017 et est actuellement en attente d’approbation de la part d’une Commission interministérielle. Cependant pour Mme Hammami, cette approbation n’est que formelle, le document est déjà implicitement adopté et l’on y fait déjà référence au sein du Gouvernement, dans certains projets, etc.

Malgré cela, le MAS se doit d’attendre la validation avant de pouvoir avancer sur les sous-objectifs de la Stratégie et le plan d’action pour les réaliser. Ce plan d’action devra permettre de se doter d’un cadre adéquat pour les travailleurs migrants notamment en :

  • Révisant la législation du travail, conformément au droit international
  • Se dosant d’une loi sur l’asile
  • Luttant contre la traite des personnes (déjà possible grâce à la Loi contre la traite)

 

Madame Zoubeida Nakib, Encadrante des Espaces Migrants de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), reprend d’abord la position de l’UGTT concernant la migration : son objectif est que les travailleurs migrants soient traités comme les Tunisiens, et qu’ils puissent être syndicalisés et militer pour leurs droits comme les Tunisiens. Le projet de Points Focaux et d’Espaces Migrants est une première étape vers cet horizon.

Par rapport à la SNM, l’UGTT est en attente d’une concrétisation. L’UGTT est en faveur d’une régularisation du travail pour les migrants. C’est pour eux une question de droits humains (il y a un système d’exploitation systématique des étrangers irréguliers) mais aussi de manque à gagner pour la Tunisie, car sans travail formel, pas d’impôts, pas de cotisations aux caisses sociales qui sont vides, etc. L’UGTT souhaite que la Tunisie ratifie les Conventions 97 et 143 de l’OIT et modifie son Code du travail sur cette base, pour mettre fin à cette situation intenable.

A noter : l’UGTT fait partie d’un réseau international de centrales syndicales, le RSMMS (Réseau Syndical Migrations Méditerranéennes – Subsahariennes) qui vise à promouvoir les droits des migrants dans l’espace méditerranéen et africain.

 

Echanges et débats

  • A propos de l’initiative de l’UGTT : quel statut pour les migrants accompagnés par les points focaux ? Peuvent-ils se syndiquer ? Mme Nakib explique que le projet en est encore aux tâtonnements. Les migrants rencontrés par les Points Focaux de l’UGTT sont informés de leurs droits, et orientés vers d’autres structures en fonction de leurs besoins. L’UGTT fait également de la médiation avec l’employeur. Mais l’objectif est qu’à terme, les migrants puissent être syndiqués.
  • On fait remarquer que la SNM ne contient que des généralités, sans plans concrets. Mme Hammami confirme, mais met en évidence la consultation de toutes les parties concernées (y compris les OSC) qui a permis au gouvernement d’élaborer cette stratégie sur base des problématiques discutées. L’assemblée fait cependant remarquer au sujet de cette consultation, que les principaux concernés (migrants ou associations de migrants) n’y ont malheureusement pas pris part.
  • Certains participants ont pointé le manque de volonté évident des autorités d’ouvrir la possibilité du droit au séjour (autrement dit : le « droit d’avoir des droits » puisque sans accès au séjour, le migrant ne peut pas accéder aux droits fondamentaux comme le travail). Le rôle de la société civile est donc primordial pour faire pression sur les autorités et lancer des initiatives concrètes. Le FTDES notamment, a récemment lancé une coalition de défense des migrants en Tunisie, et espère que l’UGTT pourra les soutenir.
  • Les possibilités concrètes et immédiates d’aide à l’accès à l’emploi ont été discutées. Par exemple, faut-il dénoncer l’employeur qui ne déclare pas ses employés à la CNSS, afin qu’il les régularise ? Malheureusement, Sherifa Riahi (TAT) explique qu’en cas de contrôle, l’employé irrégulier encourt de beaucoup plus grands risques (amende, emprisonnement et expulsion) que l’employeur (amende). Le Code du travail devrait être révisé à ce niveau. Idem pour la proposition d’accompagner un travailleur victime d’exploitation à la police : il risque de ne pas être protégé mais au contraire d’être criminalisé en raison de son statut de séjour, tout comme la personne qui l’aide ou l’héberge (révision de la Loi 2004-6 relative aux passeports et aux documents de voyage à envisager également).
  • L’accès au travail pour les étrangers est parfois empêché par l’ignorance des lois de la part des fonctionnaires de différents ministères, auprès desquels des migrants se renseignent. Les conditions d’accès à l’emploi sont certes restrictives, mais elles existent et l’emploi régulier est donc possible pour les migrants.
  • Outre la révision du Code du travail, les voies d’accès au travail pour les migrants en Tunisie pourraient s’inspirer d’outils appliqués dans d’autres pays. Par exemple, les régularisations collectives, comme au Maroc. Ou encore, comme le pointe l’OFII, des accords bilatéraux favorisant l’emploi légal temporaire – au lieu de viser une ouverture large au travail des migrants qui n’est pas forcément réaliste.
  • Enfin, Zoubeida Nakib a insisté sur la nécessité de préparer la société à l’acceptation de travailleurs migrants, notamment en sensibilisant les syndicats de base. En effet, la vague de régularisation au Maroc a été médiatisée de manière positive mais n’a pas été bien acceptée par la société marocaine. Il faut donc se rendre compte qu’une réforme législative sera inutile si elle n’est pas accompagnée d’un travail sur le terrain.